Les enjeux de l’orphelinat en droit d’auteur

Peut-on tout numériser ? les écrits, photos, films, les bibliothèques, archives, fonds documentaires ?
Peut-on diffuser et exploiter librement une œuvre dont personne ne se réclame ?
Peut-on librement modifier et/ou s’approprier l’œuvre dont l’auteur est inconnu ou introuvable?
Ces questions illustrent les interrogations suscitées par l’existence et l’extraordinaire accroissement des œuvres orphelines.

Le terme d’ « orphelinat » de l’œuvre souligne, à lui seul, sa situation de « parent pauvre » de la propriété littéraire et artistique. Selon l’article L113-10 du CPI introduit par la loi du 1er mars 2012 sur l’exploitation des livres indisponibles, l’œuvre orpheline est une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses. En général, cet « orphelinat » est le fruit d’une conservation simple par les bibliothèques, les archives, les organes de presse ou autres institutions sans détermination préalable des titulaires des droits d’auteur.

Or, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication pose, de manière particulièrement aiguë, la question de l’exploitation de ces œuvres.

Les enjeux sont en effet multiples : culturels, sociétaux, économiques et juridiques.

Un enjeu culturel et sociétal d’abord, car l’accès du public
aux œuvres orphelines est à la fois le socle et le moteur du développement du patrimoine culturel français.

A titre d’exemple, on peut citer le projet Europeana, projet collaboratif européen de numérisation en masse de manuscrits du Moyen Âge et de la Renaissance qui associe plusieurs bibliothèques européennes. Au niveau régional, la seule question des numérisations et de la mise à disposition électronique des contenus des bibliothèques municipales et des archives départementales, en témoigne.

Économique aussi, puisque cela ne concerne pas seulement l’utilisation qui peut être faite de ces œuvres, mais également leur
exploitation. On pense ici tout particulièrement à l’affaire « Google books ». Affaire qui encore récemment opposait le géant du web à la guilde des auteurs devant le juge Denny Chin : Google arguant du fair use alors que les auteurs réclament plus de 3 milliards de dollars pour la réparation de la violation de leurs droits. Cet exemple illustre la fracture existante entre les œuvres dont les auteurs sont connus et celles pour lesquelles aucune action n’est intentée. Toujours sur ce point, on peut évoquer l’utilisation exponentielle de la mention « DR » (acronyme de « droits réservés ») sur des
photographies orphelines, symptomatique d’un phénomène de publication de photographies sans autorisation, qui inquiète les professionnels.

Dans ce contexte, l’enjeu devient aussi juridique. En l’absence de régime juridique propre, les règles et principes de la propriété littéraire et artistique sont applicables. Or, leur respect a pour conséquence de laisser ces œuvres « endormies » et inconnues de tous puisque toute utilisation faite sans autorisation de l’auteur conduit inévitablement à se retrouver dans une situation de contrefaçon, laquelle est civilement et pénalement répréhensible. A l’inverse, admettre la libre exploitation de ces œuvres préserverait l’intérêt et les droits du public à l’information et à la culture mais constituerait une atteinte indéniable aux droits d’auteur.

Afin d’y pallier, certaines voies peuvent être explorées comme, par exemple, celle de la fixation d’un mécanisme de gestion des droits d’auteur sui generis combinant un jeu d’exception assortie d’une indemnité compensatrice ou une autorisation d’exploitation assortie de recherches diligentes de l’auteur ou de l’ayant-droit.

Or, on le voit, le droit positif actuel peine à appréhender et à encadrer efficacement le phénomène de l’orphelinat des œuvres de l’esprit.

Certes, il y a bien quelques propositions, mais se limitant malheureusement à avancer des solutions sectorielles.

Par Yasmine Faryssy