Le monde 3.0 : Enjeux et questions des objets connectés

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Le développement massif des objets connectés fait écho à l’émergence d’une troisième vague de croissance de l’internet que l’on a coutume d’appeler « Big Data ».

Aujourd’hui il existe moins de dix milliards d’objets connectés dans le monde, mais d’ici 2020 il existera une cinquantaine de milliards de ces objets qui vont complètement changer notre façon de produire, d’accéder à la connaissance, de nous soigner et plus globalement de vivre[1].

Depuis leur apparition sur le Marché les objets connectés suscitent de vifs débats.

En introduction du rapport du G29[2] (Opinion 8/2014 on the recent developments on the Internet of Things) on peut lire que « l’internet des objets offre de belles perspectives d’accroissement pour un grand nombre d’entreprises européennes innovantes et créatives ». Une autre vision intéressante sur le sujet est à attribuer à Jeremy Rifkin[3] qui a notamment écrit : « Chaque individu bénéficie d’une empreinte numérique unique. Avec le Big Data il n’y a plus d’anonymat ». Ces deux phrases révèlent l’étendue des possibilités qui s’offrent à nous et à la fois les risques que cela implique.

Dans cette optique il convient d’adopter une approche objective du sujet, en exposant, d’une part, les avantages et progrès multiples que permettent ces objets et, d’autre part, les moyens techniques et juridiques pour palier les risques qui en découlent.

 Mais avant toute chose il est nécessaire de définir la notion.

Les objets connectés sont des objets du quotidien (montre, cocotte minute, voiture, etc) reliés à internet et fonctionnant par le biais d’interfaces ou « applications » permettant d’analyser les données collectées afin de proposer des services ou conseils adaptés aux attentes de l’utilisateur.

Ces objets du quotidien deviennent « intelligents », à l’image du téléphone intelligent (smartphone), tout premier objet connecté.

Aujourd’hui, les objets connectés sont surtout présents sur les marchés du « quantified-self » autrement dit «quantification de soi » et de la domotique[4] (la maison intelligente).

Le monde du « tout-connecté » est source d’enjeux économiques et techniques majeurs pour la France qui peut devenir un acteur de premier plan, dans un cadre européen, à condition d’établir une coordination efficace et équilibrée des acteurs privés et de la puissance publique[5]. C’est d’ailleurs l’un des principaux objectifs du projet « 2020 faire gagner la France » du Medef, qui voit dans le traitement massif des données une perspective de croissance et d’emploi.

Mais ce monde du « tout-connecté » doit tout de même prendre en compte des challenges liés à la vie privée et à la sécurité des données personnelles afin de veiller à ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens.

1. Une révolution numérique en plein essor

Perspectives économiques et atouts de la France

On parle d’or noir du numérique pour désigner les objets connectés[6]. Cette analogie au pétrole fait écho à l’idée que l’on entre dans une troisième révolution industrielle. Ce que le  pétrole était à la seconde révolution industrielle, les données le sont à notre révolution numérique, à savoir une matière première renouvelable et qui donne l’impression d’être inépuisable.

On comprend donc la volonté des entreprises et même des Etats de devenir acteurs si ce n’est leader de cette révolution numérique.

Cependant, à l’image du pétrole brut, les données brutes ne peuvent pas être mobilisées telles quelles et doivent subir un traitement afin d’être exploitées.

Par conséquent, pour réussir sur ce marché, il faut avoir la capacité d’analyser les données collectées. Il ne s’agit pas simplement de collecter des données brutes via des objets connectés, encore faut-il ensuite les traiter (via des réseaux de télécom ou des routeurs) et les centraliser sur une plateforme intelligente qui va les analyser puis les transmettre sous forme d’aide à la prise de décision[7].

Il est donc important que nos entreprises et start-up françaises se placent également à ce stade du processus : traitement, analyse et retransmission des données aux utilisateurs.

Certaines grandes enseignes l’ont déjà bien compris. Par exemple, SEB développe une gamme de produits SMART dont « cookeo », une cocotte minute connectée reliée à une plateforme de recette permettant de proposer des recettes adaptées au temps dont la personne dispose, aux ingrédients qu’elle a sur le moment, aux nombre de calories qu’elle ne souhaite pas dépasser, à ses goûts, etc. Philippe Crevoisier, directeur général de SEB explique que « les consommateurs ne sont pas tant attirés par ces produits pour leur côté high-tech que pour se faciliter la vie et obtenir des résultats qui leur correspondent et qui sont adaptés à leurs attentes »[8].

GDF SUEZ a lancé le thermostat connecté, depuis 2010, qui permet de faire des réductions de consommation énergétique et facilite le pilotage des consommations.

Sur ce terrain de la domotique la demande des consommateurs est forte et les entreprises françaises commencent à y répondre telle AXA proposant des assurances habitations à coût variable si l’on installe des objets permettant de prévenir les risques d’incendie, intrusion, inondation, etc.

Côté automobile, BMW est en avance sur le marché de la voiture connectée comme l’explique Pierre Jalady, directeur marketing. Il est désormais possible d’avoir une voiture qui se gare seule (et l’on sait ô combien cela facilitera la vie de certains !), de conditionner le chauffage ou la climatisation à l’avance, de se voir proposer des trajets alternatifs pendant un parcours afin de gagner du temps selon la circulation, de se voir proposer des transports en commun pour aller du lieu où la voiture s’est garée (toute seule !) au lieu où l’on doit se rendre. Et tout cela grâce à une simple montre connectée faisant office de « télécommande ».

A côté de ces exemples de grandes enseignes développant des objets connectés et des plateformes de traitement et d’analyse des données, il existe également des start-up françaises très prometteuses dans le domaine, à l’image de ECO&LOGIC, dirigée par Isabelle Colin, qui fabrique les lunettes connectées « ELARIE »[9].

Selon la directrice de cette entreprise, le fait que Google glass se soit retiré du marché[10] n’aura aucun impact sur la commercialisation de ses lunettes puisque le produit n’est pas le même. Ces dernières sont le fruit d’une technologie avancée dans le domaine de la réalité augmentée et d’une réflexion menée sur l’avenir de la mobilité. Effectivement, elle explique que désormais les gens se déplacent en regardant leur smartphone et sans prêter attention à leur environnement. Or il serait temps de remédier à cela, les lunettes à réalité augmentée permettent aux individus de lever les yeux de leur écran (puisque celui-ci sera à la hauteur de leurs yeux). Ces lunettes serviront en outre de GPS avec fléchage au sol et prévention des dangers sur la route grâce aux informations signalées en amont par les autres utilisateurs des lunettes ELARIE. Elles pourront également être transposées à tous domaines.

Il y a ici un véritable enjeu économique, d’autant que si les lunettes ELARIE sont commercialisées rapidement la France deviendrait leader sur le marché des lunettes à réalité augmentée.

La société dans son ensemble est appelée à se transformer, les entreprises françaises vont être amenées à repenser leur business model[11] en intégrant les objets connectés à leur fonctionnement car ceux-ci permettront d’améliorer significativement la surveillance, le contrôle, l’optimisation et l’autonomie au sein de leur activité.

Il est par conséquent essentiel que l’Etat français encourage ses entreprises à effectuer leur transformation pour exceller dans ce nouveau paradigme.

Ainsi, et d’après la théorie de l’offre et de la demande -selon l’analyse keynésienne-[12], si la majorité des entreprises françaises (tous secteurs confondus) décident de s’adapter au monde 3.0, avec le soutien de l’Etat, alors les entreprises françaises actrices du marché des objets connectés prospèreront, et la croissance comme l’emploi et la réindustrialisation auront toutes les chances de repartir à la hausse.

Le chiffrage réalisé par A.T. Kearney pour l’institut Montaigne conclue que « chaque euro investi par la France dans les objets connectés pourrait produire jusqu’à six euros de gain de productivité, de pouvoir d’achat et d’économies de temps monétisées ».

De plus, les bénéfices escomptés semblent aller au-delà de la simple valeur économique. Nombreux y voient un impact significatif sur la vie quotidienne avec une amélioration du bien-être et de la qualité de vie pour les individus.

Cependant cet impact positif reste contestable. Est-il réellement indispensable d’être relié à internet pour améliorer notre quotidien ? On peut, à l’inverse, y voir un moyen supplémentaire de se couper de son environnement. Déjà avec le développement d’internet et par la suite des smart phone on a pu constater une montée de l’individualisme, on peut donc craindre une augmentation de ce phénomène.

Ce point nécessite un examen plus approfondi étant donné que l’un des secteurs à plus fort potentiel de création de valeur est celui de la santé, avec le développement massif des capteurs d’auto-mesure autrement dit quantification de soi (« quantified self »).

Focus sur le « quantified self »

En mai 2014 la CNIL a mis en ligne un nouveau « cahier IP », faisant suite au cahier n°1 « chantier vie privée 2020 »[13], titré « Le corps, nouvel objet connecté : du quantified self à la M-santé, les nouveaux territoires de la mise en données du monde »[14].

Ce phénomène est d’une importance majeure d’autant qu’il se développe à l’initiative des individus eux-mêmes et que l’on peut y voir un signe précurseur de la révolution de l’Internet des objets et l’amorce d’une transformation sociétale.

Le sujet mérite une attention toute particulière dans cette étude étant donné qu’il s’agit sans doute du secteur pour lequel se posent le plus de questions quant à l’impact de ces pratiques  sur la vie privée et les libertés individuelles.

Il convient premièrement de définir le terme de quantification : selon Alain Desrosières[15] quantifier consiste à  « exprimer et faire exister sous une forme numérique ce qui, auparavant, était exprimé par des mots et non par des nombres » ce qui distingue cela de la mesure, puisqu’il paraît inconcevable de mesurer la bonne santé ou la bonne humeur tandis que l’on peut désormais les quantifier grâce aux objets connectés.

Si ce secteur est actuellement en plein essor c’est en raison du désir croissant des individus de se préoccuper de leur santé.

Effectivement, dans un monde dans lequel il est devenu difficile de manger sainement et dont la frénésie nous amène souvent à renier les besoins fondamentaux de notre corps, de nombreuses voix s’élèvent pour transmettre l’idée que pour s’épanouir et être heureux il est nécessaire de transformer notre mode de vie. Des concepts innovants se développent peu à peu autour de l’alimentation, du sport, du développement personnel, de la méditation, etc. qui se retrouvent dans le vocable : « HEALTHY LIFE STYLE ».

Le quantified-self est aussi pour certains un véritable art de vivre visant au « mieux-être ». Ce mouvement est apparu en 2007 en Californie dans la revue Wired par les rédacteurs Gary Wolf et Kevin Kelly, suivant le credo « You can’t manage what you can’t mesure » c’est-à-dire en l’occurrence : on ne peut pas modifier ce que l’on ne peut pas quantifier.

Il existe aujourd’hui une multitude de capteurs et des milliers d’applications permettant de quantifier une activité ou un paramètre physique, surveiller la nutrition et le poids, suivre un facteur de risque (maladie, etc.), mesurer la qualité du sommeil, évaluer l’humeur, etc.

Tout cela au moyen de montres connectées, balances connectées, capteurs posés sur le corps, etc.

L’utilisation de ces outils s’organise autour de trois étapes : la fixation d’un objectif à atteindre, la médiatisation des résultats au sein d’une communauté (réseaux sociaux) afin d’obtenir des encouragements et de voir ses efforts valorisés, et enfin le compte rendu dans le temps des résultats (sous forme de graphiques par exemple).

Ce schéma répond à une problématique essentielle : garder la motivation. Effectivement, il a été démontré que le fait de quantifier, de laisser une trace de notre évolution est essentiel pour le maintien de la motivation car cela nous permet de rendre compte de notre progression vers notre objectif. Le soutien des tiers est souvent recherché pour s’encourager.

L’un des risques cependant soulevé par la CNIL dans son Cahier IP est la dérive vers une nouvelle « normopathie ». Henri Verdier, entrepreneur du numérique et directeur d’Etalab[16] y voit même l’intégration d’une idéologie du management appliquée au corps.

Antoinette Rouvroy, juriste et philosophe du droit, précise d’ailleurs que « ce n’est pas un hasard si l’ancêtre du quantified self est le lifelogging –une forme d’archivage total de soi- où il s’agit de retranscrire la totalité de sa vie, sans idée de quantification au départ, pour avoir un double de soi, ce qui renvoie à des notions d’éternité et de posthumanisme ».

Certains craignent que le quantified self mène à ce phénomène de normopathie où les individus ne seront jamais assez « normaux » et où l’on risque de discriminer les utilisateurs qui ne seront jamais assez performants ou optimaux.

Cependant cette vision des choses est à nuancer, il existe effectivement des risques de dérives dans toutes les « modes », mais cela ne veut pas dire que l’ensemble des individus seront sujets à ces dérives. C’est pour cela qu’il est indispensable d’informer les utilisateurs, de les alerter sur les éventuels risques, pour qu’ils soient en mesure d’utiliser ces outils en pleine conscience.

Par ailleurs, ce risque semble bien mineur en comparaison du risque que constituent ces outils en termes de respect de la vie privée et de sécurisation des données personnelles.

Une étude menée en 2013 par l’association américaine Privacy Rights Clearinghouse sur les applications mobiles de santé et de bien-être a démontré que les politiques de confidentialité des applications sont particulièrement porteuses de risques pour la vie privée des utilisateurs. Tout d’abord cette étude démontre le manque d’information latent des utilisateurs mais également celle-ci démontre le décalage entre les politiques de confidentialité telles que présentées à l’utilisateur et la réalité des pratiques concernant ses données personnelles.

La particularité des pratiques de quantification est qu’elles produisent des données qui se situent sur une frontière floue entre bien-être et santé. Or il convient de se demander si les données de bien-être peuvent être considérées comme des données de santé car susceptibles, au même titre, de révéler la vie intime des utilisateurs.

Une des inquiétudes majeure concerne l’évolution des pratiques notamment celles des assureurs. On peut craindre que les assureurs conditionnent à l’avenir leurs tarifs en fonction de l’accomplissement d’un certain nombre d’activités physiques (c’est déjà le cas aux Etats-Unis avec les pédomètres permettant de mesure le nombre de pas par jour et donc de moduler le prix des assurances en fonction). Ou, par exemple, les entreprises françaises contraintes prochainement à proposer systématiquement une complémentaire santé à leurs salariés, pourront être tentées de pousser leurs salariés à transmettre leurs données aux assurances pour payer moins cher[17].

De la même manière si des banques parviennent à avoir accès aux données, issues de ces objets connectés de quantified self, dont l’agrégation mènerait à établir des risques de maladies, on peut imaginer que ces banques refusent l’octroi de prêts à ces clients.

Au regard de l’ensemble des risques de dérives des objets connectés il importe d’être vigilant quant aux règles de droit encadrant ces pratiques.

2. L’absence de réglementation spécifique aux objets connectés

Un semblant de vide juridique

Il n’existe pour l’instant aucune réglementation spécifique applicable aux objets connectés, mais contrairement aux idées reçues il n’est pas indispensable de légiférer sur toutes les nouveautés de ce monde. Le droit commun est précisément conçu de façon suffisamment large pour pouvoir généralement englober les innovations.

Dans son ouvrage[18], paru en 2015 aux éditions LexisNexis, Thierry Piette-Coudol propose de s’intéresser à deux grands concepts du droit civil : la responsabilité et le principe de précaution.

Concernant la responsabilité, en application de l’article 1382 du code civil (« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ») et de l’article 1384 (« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde »), nous sommes responsables des choses que l’on a sous notre garde. Or, un objet connecté est une chose que l’on a sous sa garde.

La communication autour de ce principe dans le cadre de l’utilisation des objets connectés permettrait de responsabiliser les utilisateurs. Effectivement si par le biais de leur objet connecté ils causent un dommage à autrui alors ce dernier pourra agir contre le propriétaire de l’objet pour obtenir réparation.

Le principe de précaution, issu de la Charte de l’environnement[19] énonce en son article 5 : « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

On comprend bien à la lecture de cette disposition qu’en matière d’objets connectés les risques pour l’environnement existent (surexposition aux ondes), même si l’on ne connaît pas pour l’instant les effets à long terme de leur utilisation.

Même s’il semble important de défendre ce principe de précaution, dans les faits c’est en vain puisque l’économie liée à l’innovation prévaut bien souvent sur ledit principe.

En dehors de ces principes de droit commun, le droit au respect de la vie privée et le droit relatif à la gestion et à la protection des données personnelles ont été considérés comme des points cruciaux par le ministère de l’économie et des finances et le ministère du redressement productif[20].

Vigilance accrue pour la protection de la vie privée et des données personnelles

Contrairement à d’autres pays, la France reste encore très sensible à la protection de la vie privée et des données personnelles, ce qui d’ailleurs peut poser une difficulté d’un point de vue concurrentiel.

Cependant entre efficacité économique et protection du consommateur les cœurs balancent, et la préservation des droits de ces derniers prime.

Bien que le droit français ne vise pas spécifiquement les objets connectés, la loi informatique et libertés est suffisamment large pour englober cette innovation puisque celle-ci règlemente les traitements de données personnelles.

Or, les objets connectés collectent des données personnelles au sens de l’article 2 (« Constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement »).

Quant au droit européen, les directives 95/46/CE et 2009/136/CE s’appliquent à l’internet des objets.

De nombreuses problématiques se posent avec l’internet des objets. Cependant, pour prendre l’exemple du quantified-self, la plupart des utilisateurs n’ont qu’une conscience limitée des problématiques relatives à la protection de leurs données personnelles.

Pourtant, on constate un réel manque de contrôle des informations par l’utilisateur de l’objet connecté qui ne peut pas nécessairement vérifier les données avant qu’elles soient publiées sur internet, entraînant un risque d’exposition excessive.

De plus les objets peuvent être interconnectés et donc transférer des données des uns aux autres sans que l’utilisateur n’en soit informé.

L’un des éléments qui pose problème au regard du droit français et européen est le consentement de l’utilisateur. Le rapport 8/2014 du G29 consacre une étude approfondie sur ce point. Il met en lumière le fait que dans la majorité des cas l’utilisateur d’un objet connecté n’est pas informé du traitement des données résultant de l’utilisation de l’objet, donc a fortiori s’il n’est pas au courant il n’a pas non plus consenti à un tel traitement.

Or le consentement est au centre du droit des contrats français et européen.

L’article 1108 du code civil pose le consentement comme l’une des conditions essentielles à la validité d’un contrat. Par conséquent il est nécessaire de mettre en place un mécanisme valide pour obtenir le consentement des individus au traitement de leurs données personnelles, et cela passe avant tout par une information complète.

En ce sens, l’article 5(3) de la directive 2002/58/CE sur la e-vie privée vient faire peser certaines obligations sur les acteurs de l’internet des objets. Cet article prévoit effectivement que les fabricants des objets, les acteurs qui veulent avoir accès aux données, ainsi que les contrôleurs de données obtiennent le consentement libre et éclairé des utilisateurs. Ils doivent donc s’assurer que ce dernier a donné son consentement à un tel stockage de ses données après avoir obtenu une information claire et compréhensible de la part du contrôleur sur les raisons du traitement.

Une autre difficulté est que la collecte de données peut permettre de créer des profils-types, ensuite utilisés pour réaliser du ciblage comportemental autrement dit de la publicité ciblée.

Effectivement, bien que les différents objets collectent des pièces isolées d’informations sur l’utilisateur, une quantité suffisante de données collectées et les analyses qui seront effectuées par la suite peuvent révéler les habitudes, les goûts et les comportements d’un individu. Or cela pose un problème quant à la légitimité du traitement des données collectées via les objets connectés.

L’article 7 de la directive 95/46/CE pose trois conditions pour que le traitement soit qualifié de légitime : le consentement ; le caractère nécessaire du traitement dans le cadre de l’exécution d’un contrat auquel l’utilisateur de l’objet est partie ; la réponse à un intérêt légitime poursuivi par le contrôleur des données.

A la lecture de cette disposition on distingue la difficulté que posent la collecte et le traitement de données afin d’effectuer un profilage, puisque dans ce cas aucun des trois critères précités ne semble rempli.

Les objets connectés sont également susceptibles de collecter des données dites « sensibles ». Dans ce cas, tant la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 que l’article 8 de la directive 95/46/CE vient imposer au contrôleur l’obtention du consentement explicite de l’utilisateur, sauf si celui-ci a rendu lui-même ces données publiques.

Toujours en application de la loi informatique et libertés et de la directive 95/46/CE (articles 12 et 14), il est important d’informer les utilisateurs des objets connectés, en tant que « sujets de données », de leurs droits. En effet, ils disposent d’un droit d’accès et d’un droit d’opposition au traitement de leurs données. Cependant, dans les faits on peut constater qu’il n’est pas possible d’accéder aux données brutes collectées par les objets connectés puisque nous n’avons accès qu’aux données analysées / traitées.

De la même façon la possibilité de faire opposition au traitement semble impossible lorsque que l’on utilise l’objet connecté. La seule manière d’y mettre fin est de cesser d’utiliser l’objet. Il sera donc nécessaire de mettre en place des moyens accessibles et efficaces pour permettre à l’utilisateur de s’opposer à un tel traitement.

Ainsi, afin de redonner le pouvoir aux utilisateurs sur leurs données personnelles, les objets connectés devront pouvoir se « déconnecter » dès que l’utilisateur le souhaite.

Pour conclure, le monde 3.0 offre des perspectives fascinantes en termes de croissance économique et d’amélioration de la vie quotidienne, mais il convient d’en maîtriser pleinement les risques. Les utilisateurs doivent ainsi prendre conscience de ces risques et être informés de leurs droits pour qu’ils puissent contrôler leurs données à tout moment.

Par Clémence BALLET

[1] Rencontre avec Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des PME, de l’innovation et de l’économie numérique, à l’occasion du lancement du projet « 2020 faire gagner la France » : interview à retrouver sur www.medef.com/medef-tv/videos/detail/medeftv/fleur-pellerinstructurer-une-filiere-autour-du-big-data-et-des-objets-connectes.html

[2] Le G29 est un organe consultatif européen indépendant sur la protection des données et de la vie privée

[3] Acteur majeur de la prospective mondiale et auteur du livre « troisième révolution industrielle »

[4] Article intéressant expliquant ce qu’est la domotique (terme encore étranger à bien des individus) : http://www.maison-et-domotique.com/47895-la-domotique-cest-quoi/

[5] Introduction du rapport de l’institut Montaigne « Big data et objets connectés. Faire de la France un champion de la révolution numérique » avril 2015

[6] Cette analogie entre pétrole et données numériques nous vient de Clive Humby, mathématicien (qui l’a employée pour la première fois en 2006) et a été reprise et développée par Michael Palmer qui compare les données au pétrole brut qui doit subir une transformation avant de générer de la valeur (« Tech giants may be huge, but nothing matches big data », The Guardian, 23 août 2013).

[7] « Les objets connectés un nouveau business pour le social media monitoring » article d’Isabelle Mouroux, digital Media analyst chez Diming.

[8] Table ronde organisée par la revue du digital le 20 janvier 2015 lors de l’évènement Web2business à Paris  www.larevuedudigital.com/2015/01/29/objets-connectes-les-entreprises-elargissent-leurs-gammes-de-services/

[9] http://www.ecoetlogic.com/fr/produits/elarie

[10] Le 19 janvier 2015 Google a retiré ses Google Glass du marché en raison du manque d’aboutissement technique du projet mais également de nombreuses problématiques en termes de protection de la vie privée http://obsession.nouvelobs.com/high-tech/20150119.OBS0293/pourquoi-google-retire-ses-google-glass-de-la-vente.html

[11] Rapport de l’Institut Montaigne, avril 2015, « II. Les perspectives de création de valeur associées au big data et aux objets connectés ».

[12] Keynes développe l’idée selon laquelle la demande agrégée doit être orientée afin d’inverser la tendance des crises et par la même occasion assainir l’instabilité du capitalisme. Et ce rôle de soutient à l’économie revient à l’État qui est garant de la santé économique du pays. http://www.andlil.com/theorie-de-leconomie-keynesienne-positive-152185.html

[13] http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/Guides_pratiques/Livrets/Cahier-ip/cnil_cahieripn1/index.html

[14] http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/La_CNIL/publications/DEIP/CNIL_CAHIERS_IP2_WEB.pdf

[15] Desrosières, A. (2008) « Pour une sociologie historique de la quantification. L’argument statistique I », Presses de l’Ecole des mines, p.10-11.

[16] Etalab est une mission, pilotée par Henri Verdier sous l’autorité du premier ministre, visant une politique d’ouverture et de partage des données publiques (Big Data). Etalab coordonne l’action des services de l’Etat et de ses établissements publics pour faciliter la réutilisation la plus large possible de leurs informations publiques.

[17] A-S Crouzet – Objets connectés – les données de santé bientôt vendues aux assureurs : opticien-presse.fr, août 2014

[18] Ouvrage « Les objets connectés Sécurité juridique et technique» par Thierry Piette-Coudol, Lexis Nexis, 2015

[19] Charte de l’environnement intégré à la Constitution française en 2004 reconnaissant les droits et devoirs fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement

[20] Rapport interministériel : « internet des objets et logistique » 2012